En cas d’hiver rude, le risque de blackout énergétique est réel. Les plombs de notre maison Belgique sautent. Trois centrales nucléaires sont à l’arrêt alors qu’elles représentent 30% de notre capacité de production. Le gestionnaire du réseau, Elia, a prévu un plan de délestage qui consiste à priver d’électricité certaines communes. Mais ce plan pose question en avantageant la Flandre au détriment de la Wallonie. Dans le même temps, la future coalition « suédoise » remet sur la table la prolongation des réacteurs de Doel 1 et 2. Mais est-ce vraiment sûr et est-ce le bon moment ?
Ce plan de délestage a été pointé comme déséquilibré et illégal. Pour Damien Ernst, professeur à l’ULg et spécialiste en la matière – par qui le débat a été lancé –, il était en tout cas « irrégulier », car « Elia (le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en Belgique, ndlr) n’a pas respecté un arrêté ministériel du 3 juin 2005 », lequel, s’il avait été suivi, aurait permis un plan équilibré. « Je ne pense pas que cela ait été volontaire, explique-t-il cependant. Par contre, ce que je déplore, c’est que, quand cet état de fait a été dénoncé dans plusieurs articles, Elia a continué à être dans le déni et a transmis de mauvaises informations, même au gouvernement fédéral, notamment à Catherine Fonck. »
Violation de la loi
Julien Damilot, directeur des affaires publiques et régulatoires d’Elia, admet que ce plan est perfectible: « Nous reconnaissons aujourd’hui que nous pouvons améliorer nos procédures de délestage pour respecter davantage l’arrêté ministériel en question ». Un arrêté ministériel qui a été écrit par Elia, lance Damien Ernst. Mais « signée par un ministre » et dont il « ressort de sa responsabilité de l’établir », répond Julien Damilot.
« De notre point de vue, il n’est pas possible, avant la période hivernale, de modifier la liste des postes délestables, ajoute le représentant d’Elia.Ce point-là, nous le maintenons. »
Damien Ernst persiste : « Il s’agit d’une violation de loi ». Le chef de groupe Ecolo à la Chambre Jean-Marc Nollet se mouille moins : « Il respecte le chapitre 2 de l’arrêté ministériel, qui concerne les situations d’urgence, et non le chapitre 3 qui traite d’une situation de pénurie prévisible ». En l’état des choses, un particulier pourrait donc porter plante, car ce plan « n’a pas respecté l’arrêté ministériel ».
Correction du plan annoncée
D’un point de vue pratique -celui de la répartition concrète du délestage- le problème concerne avant tout la proportionnalité. Entre Flandre et Wallonie, le délestage annoncé par ce plan n’est en effet pas proportionnel. Mais « les zones électriques ne sont pas dessinées à l’échelle des régions », se défend Julien Damilot qui indique malgré tout qu’une proposition a été faite pour répondre à cette critique. « Il s’agit de faire en sorte que dans les zones du sud-est et du sud-ouest, les tranches de délestage soient divisées en deux pour essayer de rééquilibrer la situation et de faire en sorte de respecter ce critère de proportionnalité par rapport à la consommation électrique. »
Cette proposition permettra de « corriger le plan et de faire en sorte qu’il reste possible sur le terrain », confirme Catherine Fonck, secrétaire d’État à l’énergie. « On ne pouvait évidemment pas accepter que les uns fassent deux fois plus d’efforts que les autres. »
Ce nouveau plan, une fois corrigé, ne doit pas être communiqué n’importe comment, estime Jean-Marc Nollet. « Pour les citoyens et les entreprises, on n’y comprend plus rien, dit-il. Les cartes des différentes zones délestées ne sont plus valables aujourd’hui, mais, pour les nouvelles cartes, je demande surtout que le citoyen puisse, via un site Internet, savoir dans quelle zone il est en tapant son adresse. Tout le monde a droit à l’information, au nord comme au sud du pays. »
Alternative et dédommagements
Mais existe-t-il une alternative à ce plan de délestage? « À partir du moment où nous avons trois réacteurs indisponibles, le risque est bien réel, affirme Catherine Fonck (cdH). Si on récupère Doel 4 fin décembre, comme Electrabel l’a annoncé, cela nous permettrait de passer les mois les plus difficiles de manière plus confortable. »
La réserve stratégique a été mis en œuvre pour la première fois avec les centrales au gaz, mais cela ne représente que 850 mégawatts de plus, alors qu’il en manque 2000 pour passer l’hiver à l’abri. La capacité totale est de 20 000 mégawatts, explique la secrétaire d’État, et « les pics de consommation sont de l’ordre de 13 000 » (entre 18 heures et 20 heures). Mais les fournisseurs et producteurs d’électricité se verront appliquer un tarif de sanction très élevé, « s’ils ne sont pas à l’équilibre entre leur production et leurs clients ». Pour la secrétaire d’État, cela signifie que ces producteurs « sont en train de mettre les semaines qui viennent à profit pour justement augmenter leur capacité de production partout où c’est possible » pour permettre de peut-être apporter 800 à 1000 mégawatts de plus. Enfin, une campagne de sensibilisation a été mise en œuvre pour consommer moins et éviter ainsi le black out, précise-t-elle. « On fait le maximum ».
Mais si les coupures ont bien lieu, Jean-Marc Nollet pose la question du dédommagement – du petit commerçant par exemple – si les producteurs ne sont « plus en capacité de répondre à leur contrat ». Electrabel devrait alors payer, pense-t-il. David Clarinval, député MR, partage ce point de vue, en précisant que les communes rurales, lésées en priorité, « pourraient attaquer » ces producteurs « et demander une indemnisation ».
Quid de Doel 1 et 2 ?
L’activité des réacteurs de Doel 1 et Doel 2 sera par ailleurs maintenue, suite à une décision des négociateurs de la prochaine majorité, alors que l’arrêt de ces centrales avait été programmé pour 2015. Pour David Clarinval, cette mesure est une réponse au « timing trop court pour sortir du nucléaire », précisant que les opérateurs « devront faire les cures de jouvence et investir massivementsi on décide de prolonger ».
Marielle Rogie, du Forum Nucléaire, confirme que le prolongement est « techniquement faisable », il n’y aurait en effet « pas de date de péremption pour prolonger un réacteur et les pièces peuvent être changées sans aucun souci. »
Pour rendre de nouveau opérationnelle ces réacteurs, il faudra néanmoins « au moins deux ans », indique Catherine Fonck, avec « des investissements majeurs pour les mettre dans des conditions optimales ». Cependant, d’après Jean-Marc Nollet, que cette prolongation soit entérinée ou non, il ne s’agit en rien d’une réponse aux risques de blackout cet hiver. Mais cela pourrait servir à l’avenir… dans trois ans.
Source : Thomas Mignon – RTBFinfo.be – le 14 septembre 2014 – http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_les-plombs-de-notre-maison-belgique-sautent-serons-nous-dedommages?id=8354969